Alors que pour la majorité des employé-e-s de l’Etat, le temps d’essai est de 3 mois (ce temps pouvant être prolongé de 3 mois supplémentaires), il est d’un an pour les enseignant-e-s. En réalité, il s’étend même à plusieurs années dans certains cas.

Au moment de la mise en oeuvre de la Loi sur le personnel en 2003, alors que le Conseil d’Etat n’avait pas l’intention de traiter différemment les enseignant-e-s des autres travailleurs-euses, il s’est trouvé des relais parlementaires d’un certain nombre de directeurs d’établissement pour considérer que le diplôme d’enseignement n’attestant pas de la capacité à enseigner (même avec les stages pratiques), il leur fallait pas moins d’un an pour être les seuls juges de l’autorisation d’exercer. Le Grand Conseil qui porte une affection particulière aux enseignant-e-s n’a pas été difficile à convaincre d’inscrire dans la Loi scolaire l’année probatoire. Le règlement prévoit donc que le premier engagement soit fait d’un CDD d’un an (art. 108 RLS). Au terme de cette première année, la direction rend un préavis. S’il est positif, un CDI est conclu. S’il est négatif, il est mis un terme à l’engagement, ce qui équivaut à une interdiction professionnelle et à l’exclusion définitive de l’enseignement public vaudois.

Alors que l’esprit du législateur avait en tête les personnes sortant de formation, la lettre de la loi condamne tous les nouveaux-elles engagé-e-s à un premier CDD d’un an assorti d’un préavis. Ainsi les enseignant-e-s qui ont une longue expérience dans un canton ou un Etat voisin sont également soumis à l’art. 108.

Pendant un temps, l’Etat a de plus tenté d’assortir les CDD art. 108 de la mention « poste non-pérenne », ce qui permettait de ne pas avoir à conclure un CDI, même en cas de préavis positif. Cette pratique appartient en principe au passé, mais on ne saurait exclure qu’elle existe encore.

Il y a deux ans, le Tribunal de prud’hommes (TRIPAC) a été appelé à juger la contestation par une enseignante d’un préavis négatif. Le recours a été rejeté, mais, dans ses considérants, le TRIPAC a indiqué que le préavis négatif ne valait que dans l’établissement où il avait été émis. En conséquence, dans le cas où l’enseignante avait trouvé un emploi dans une autre école, elle aurait dû être engagée en CDI! Il faut interpréter ce jugement dans le sens suivant: l’autorité des directions d’établissement ne s’étend pas au-delà de leurs murs. Autrement dit, il est disproportionné de leur attribuer la compétence de juger d’une carrière professionnelle. Le Conseil d’Etat a affirmé devant le Grand Conseil qu’il avait l’intention de ne modifier en rien sa pratique, ce qui revient à s’asseoir sur le jugement.

Par ailleurs, dans le post-obligatoire, les directions ont établi une politique consistant à contourner les règles en vigueur en matière d’engagement et de transparence budgétaire pour construire un système généralisé de temps d’essai de plusieurs années. Comment ça marche? Des postes sont bien mis au concours en mars, mais ils n’utilisent pas l’entier des ressources inscrites au budget (ce qui est une violation de la volonté du parlement) et ils sont surtout destinés à régulariser des personnes qui comptent déjà plusieurs CDD. Il s’agit donc de mises au concours en partie fictives. Un nombre important de personnes sont en fait engagées entre le printemps et l’été, sous l’étiquette élogieuse de « queues de postes » ou de remplacement (sans qu’on sache jamais qui est remplacé-e), en CDD, sous le faux prétexte qu’il y a de lourdes incertitudes quant aux effectifs d’élèves. Qui a vu un jour l’évolution du nombre d’élèves dans les gymnases sait que c’est de l’esbroufe. Ce procédé permet d’engager des personnes jusqu’à trois ans en CDD sans même que le contrat relève de l’art. 108, en s’appuyant sur une mauvaise interprétation de la décision n° 120 de la Cheffe du DFJC qui limite le nombre de CDD à trois pour… les enseignant-e-s sans diplôme d’enseignement, mais pour eux seulement. Ainsi, un-e enseignant-e peut faire un, deux, voire trois CDD, pour enfin avoir le « privilège » d’un CDD art. 108 la quatrième année et un CDI la cinquième. Cela laisse amplement le temps aux directions du post-obligatoire de faire leur choix. Tout cela est parfaitement aussi illégal que dégueulasse, mais c’est la politique à l’oeuvre.

Au fond, nous demandons l’abrogation de l’année probatoire. Il est parfaitement possible de juger sur un temps d’essai de 3 mois (jusqu’à 6 mois en cas de doute) pour des enseignant-e-s dont on rappelle qu’ils-elles ont un diplôme professionnel! Dire le contraire relève de la prétention des directions quant à la qualité de leur jugement. Cela étant, on sait ce qu’est la majorité politique de ce canton et l’affection qu’elle nous porte. La fenêtre politique pour obtenir l’abrogation des art. 80 LS et 108 RLS est donc étroite.

Dans le cadre du droit actuel, il y a toutefois des mesures concrètes qui peuvent être prises pour améliorer les droits des enseignant-e-s:

1. Les CDD (hors art. 108) doivent être réservés à deux situations:

A) les remplacements, mais, dans ce cas, le nom de la personne remplacée doit figurer obligatoirement sur contrat.

B) les personnes sans les titres requis; c’est à elles, mais à elles-seules que doit s’appliquer la décision n° 120, à l’exception des enseignant-e-s en formation dans le cadre du dispositif de l’IFFP pour qui une procédure spécifique est réservée.

2. Un premier engagement pour une personne avec les titres requis, si ce n’est pas un remplacement dûment prouvé, doit forcément être un CDD art. 108; la procédure de mise au concours des postes et les arguties des « queues de postes » doivent être sans effet.

3. Les collègues expérimentés venant d’autres cantons ou d’autres Etats doivent être exemptés du dispositif de l’art. 108.

4. Les enseignant-e-s en art. 108 et qui se voient affecter d’un préavis négatif doivent bénéficier d’un dispositif de remédiation. En effet, l’art. 108 fait de la première année d’engagement une prolongation du dispositif de formation avec la direction érigée en formateur souverain et unique. Or, tout processus de formation, par égalité de traitement, doit prévoir des voies de remédiation. Il doit en aller du CDD art. 108 comme du reste.

5. Dans le cas d’une maternité, c’est à l’Etat d’assumer le risque d’entreprise d’un CDD art. 108 raccourci et pas à l’enseignante de souffrir d’une prolongation de la précarité.

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