« Le droit au retour des Palestiniens est impossible à appliquer, ce serait un suicide national. » 

Emmanuel Navon, Politologue israélien, expert en politique étrangère et professeur de relations internationales à l’Université de Tel-Aviv

Un an après, nous avions envie de revenir sur les deux journées de formation organisées par la HEP Vaud. Originellement intitulée « 1948: connaître et enseigner la Nakba palestinienne. » Le titre, jugé trop polémique et partial, a été modifié. Il est devenu : « 1948: aux origines du problème des réfugiés palestiniens. » Il est toujours intéressant de rendre compte du pouvoir des mots. La rhétorique parle d’elle-même. Mais l’honneur est sauf : la formation a tout de même pu avoir lieu malgré des rumeurs persistantes d’annulation, le mot apparemment honteux Nakba a été évincé.

Ce cours HEP a été vivement critiqué dès son lancement car son apparent parti pris était trop prégnant. À savoir, se situer du côté des dominé.e.s, en utilisant le mot arabe « Nakba » (catastrophe).  Pour remédier à cela, « l’égalité de traitement » a été appelée en renfort. Or, le rapport de force entre Israël et la Palestine existe. Refuser de laisser pleinement la place au point de vue de l’opprimé.e est extrêmement dérangeant. Refuser de faire confiance au professeur HEP en didactique de l’histoire et docteur à l’Université de Fribourg ayant organisé cette formation, validée par le rectorat de la HEPL, l’est également. Refuser de s’en remettre à l’intelligence et à l’esprit critique des enseignant.e.s certifié.e.s suivant cette formation relève d’une attitude  condescendante.

En arrivant à la HEP, les participant.e.s ont  dû présenter leur convocation écrite et  leur pièce d’identité pour obtenir un badge ; ce dernier a d’ailleurs changé chaque matin. Afin de passer l’entrée, les sacs ont été fouillés. Nous serions curieux.euses de connaître le coût de la prestation de Securitas, mais c’est une autre histoire.

Nous avons apprécié d’entendre les divers intervenant.e.s. La qualité du CV de la majorité des orateurs.trices était absolument indéniable. Reste tout de même comme un goût amer.

Comme les différents intervenant.e.s n’avaient pas le droit d’intervenir lors des présentations des autres conférencier.e.s, la contradiction et la mise en perpective n’étaient pas possibles.

Riccardo Bocco s’est vu interdire d’envoyer un documentaire dans lequel il intervienait (« Et Israël fut », 2018) afin que l’assistance le visionne avant son intervention. Son temps de parole aurait été supérieur à celui des autres intervenant.e.s et cela posait apparemment problème. Sa réflexion était centrée sur la responsabilité de l’Europe dans l’avènement et le développement de la nation israélienne. 

Benny Morris s’est attelé à mettre en lumière la façon dont les Palestinien.ne.s ont spontanément attaqué Israël dès sa création en 1948. Si l’on résume sa thèse, les Israélien.ne.s, de peur de vivre une seconde Shoah, ont vivement réagi. Ils ont dû se protéger. 

Ilan Greilsammer a mis en lumière le regard de certain.e.s nouveaux.elles historien.ne.s israélien.ne.s et a permis de comprendre les contradictions qui émanaient de leurs discours. Le mythe de la guerre morale et propre a ainsi été déconstruit, ce qui a permis un regard critique sur la thèse selon laquelle les Palestinien.ne.s seraient parti.e.s sur un appel de leurs dirigeants.

Rosie Pinhas-Delpuech a démontré à travers les nouveaux et nouvelles écrivain.e.s israélien.ne.s comment la littérature pouvait être utilisée comme une « arme ». 

Ilan Pappé a expliqué que la présence des natifs.ves sur la terre d’Israël était difficilement compatible avec la conception du peuple élu, ce qui avait engendré une logique d’élimination.

Shlomo Sand a appuyé son discours sur le manque de remise en question de l’histoire nationale en Israël. Encore aujourd’hui, aucune structure ne permet de remettre en question l’histoire officielle avec pour effet que les mêmes mythes demeurent.

Elias Sanbar a appris que le vocabulaire de la partie adverse pour désigner les réfugié.e.s se limitait constamment au terme « Arabes » afin d’évincer celui de «  Palestinien.ne.s », procédant ainsi à la disparition de ces derniers. Les accords d’Oslo auront au moins permis de les faire à nouveau exister. 

Emmanuel Navon, calmement, froidement, a asséné à l’auditoire que la Palestine n’a jamais existé avant 1967, que les « Arabes » n’ont jamais pensé à proclamer l’indépendance de leur pays avant cette date. Il a poursuivi en maintenant que les 700’000 réfugié.e.s palestinien.ne.s sont un mythe; que de toute façon, si les « Arabes » avaient accepté le plan de partition, il n’y aurait pas eu de guerre – et donc que toute la responsabilité du conflit leur incombe. Il ajoute que « si Israël avait absorbé l’ensemble des réfugié.e.s, il y aurait eu une minorité d’Israélien.ne.s en Israël, ce qui n’était pas possible pour créer un État-nation. » Enfin, selon lui, « le droit de retour est une recommandation de l’ONU et donc en aucun cas une obligation ».1

Philippe Rekacewicz a clos les deux journées en mettant en lumière, à l’appui d’analyses cartographiques, les stratégies utilisées par Israël pour gérer son occupation et nettoyer ethniquement le territoire des Palestinien.ne.s. 

Si l’augmentation notable du nombre d’intervenant.e.s, en regard du premier panel, a permis des interventions intéressantes sur la question, il n’en demeure pas moins qu’elle a aussi ouvert le champ à des interventions nettement plus politiques. Si on ajoute à cela l’entrave à la contradiction et les mesures de sécurité, ce qui s’est passé est indigne et ne doit pas se reproduire. Les institutions de formation doivent pouvoir agir librement et les enseignant.e.s doivent être mieux considéré.e.s quant à leur libre arbitre et leur autonomie en matière de formation continue.


1 A l’évidence, cette intervention de M. Navon s’est démarquée des autres par une approche  davantage politique que scientifique, centrée sur la dénégation de l’existence du peuple palestinien et des droits des réfugié.e.s. La question de « l’équilibre des points de vue » ne justifie pas de se dispenser de la qualité scientifique et historique. 

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